Retour sur une page d’histoire #2

L’épopée musicale au Studio Royal

publié par

Fanie Précourt

17 juin 2021

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Elle n'aura duré que trois années, mais marqua considérablement l'histoire de l'enregistrement à La Réunion, à travers la production d'une soixantaine de disques de l'éditeur « Diffusion Royale » et du sous-label « Disques Royal ». L'aventure d'un studio, d'un éditeur et label mythiques.

Le Casino Royal, un cinéma moderne

Tout commence à Saint-Joseph en 1970, lorsqu'André Chan-Kam-Chu concrétise, grâce au soutien du maire Guy Hoarau, la création de son cinéma « le Casino Royal » (aujourd'hui rebaptisé « Royal ») au 8 rue Amiral Lacaze. Depuis 1951, les projections cinématographiques se faisaient tant bien que mal au sein de « Odéon », un bâtiment aux allures de bunker, dont le fronton et les portes murées témoignent encore de la fermeture. Rayées et parfois sans son, les bobines arrivaient alors de l'île Maurice, jusqu'à ce que le trentenaire féru du 7ème Art, André, réussisse à négocier avec l'unique distributeur l'acheminement des supports sans escale sur l'île sœur. A la place de l'ancienne usine de vétiver, est donc inauguré le 7 décembre 1970 un cinéma flambant neuf, qui diffuse pour la première fois à 520 cinéphiles « Il était une fois dans l'ouest », avec des projecteurs à charbon et des bobines de 400 mètres qu'il fallait changer toutes les 15 min…

La naissance de Diffusion Royale

Parallèlement, depuis son arrivée sur l'île, le malgache Rolland Raelison est le compositeur et arrangeur attitré de la maison de disques « Compagnie Phonographique de Bourbon » (CPB), crée à Saint-Denis en 1963 par Jean-Jacques Cladère (également à la tête du label « Jackman » et patron du Scotch Club). Ce multi-instrumentiste, compositeur de 262 titres, joue dans nombre d'orchestres de bal, dirige la MJC de Saint-Joseph, puis son école de musique et s'épuise à aller à Saint-Denis régulièrement pour satisfaire aux besoins d'enregistrement de la CPB. L'idée lui vient alors, avec son ami guitariste et pianiste Yves Son-Houi, de proposer à Guy Hoarau, fervent militant de la culture musicale, l'ouverture d'un studio d'enregistrement dans le sud sauvage. Convaincu par le professionnalisme de Rolland Raelison (déjà à l'âge de 13 ans responsable d'une maison de disque à Madagascar), André Chan-Kam-Chu se réjouit de cette initiative qui marque le début d'une grande histoire d'amitié entre le propriétaire du Casino Royal, Rolland Raelison et les artistes qui fouleront le plancher du studio qu'hébergera le cinéma. Accolé en effet à l'arrière du Casino Royal, le Studio Royal, doté d'un équipement ultramoderne (magnéto 16 pistes et table de mixage Soundcraft), naît en 1976.

Un remarquable foisonnement musical

Yves Son-Houi fait partie du groupe Adoc (ou Ad Hoc), créé sous le parrainage de Luc Donat (revenu s'installer à Saint Joseph depuis 1968), aux côtés d'Yves Vitry (basse), René Lacaille (guitare) Patrick Donat (batterie) et Hervé Imare (chant). C'est alors tout naturellement qu'il invite ses compères à prendre possession du studio. En échange d'une ardoise à la boutique Chan-Kam Chu lui offrant gite et couvert, René Lacaille devient rapidement responsable du lieu. Ce dernier créé en 1976 le groupe Caméléon (constitué d'Alain Peters, Bernard Brancard, Loy Ehrlich, Joël Gonthier et Hervé Imare) qui investira également le studio, jusqu'à en réaliser la majorité des accompagnements musicaux. Les séances d'enregistrements virent régulièrement aux improvisations psychédéliques pour ces musiciens avant-gardistes, bercés par la tradition et nourris d'influences anglo-saxonnes. Les cessions s'enchainent sans relâche.

A l'origine de nouveaux talents

De son côté Rolland Raelison anime avec Francis Dussaugey, l'émission hebdomadaire de radio-crochet réalisée par FR3 « A la recherche de jeunes talents ». Les lauréats tels que Imouche (DR 770024), Colognon (DR 770024), Jean-Hugues Maillot (DR 770012) ou encore Georges Bataille (DR 770025) se voient récompensés d'un enregistrement au studio Royal et d'un pressage de 3 000 exemplaires de leur 45 Tours Diffusion Royale. Le label révèle ainsi des talents, qui n'auront pas forcément tous une longue carrière mais réaliseront leur rêve du moment. Jusqu'en 1979, le studio produira également nombre d'artistes emblématiques à l'image de Régis et Renaud Lacaille, Jo et Max Lauret, Françoise Guimbert, Harry Pitou, Fernand Rangla, Nirina Sulette, Raymond Sangaria, Jacky Lechat, Jacques Poustis, Daniel Mayer etc… contribuant fortement à leur notoriété. Tiré à 30 000 exemplaires, le 45 Tours de Michou interprétant « Mam'zelle Paula » restera en 1977 le best-seller du catalogue de la firme. La même année, elle n'hésitera pas à concurrencer le Parti Communiste Réunionnais (produisant les premiers 33 Tours de maloya de Firmin Viry en 1976) en enregistrant les premiers 45 Tours de la Troupe de maloya dirigée par Jean-Claude Viadère, La Troupe Jeunes Gayards (DR 77 0006 et DR 77 0016).

Fin de la belle aventure

Au-delà du succès artistique, la gestion des stocks et les choix stratégiques ont eu raison de diffusion Royale, à l'aube des années 1980. Selon Rolland Raelison, il y avait au minimum un tirage par mois de 3 000 supports vinyles. A la dissolution de la société d'André Chan Kam Chu, ce ne sont ainsi pas moins de 200 000 disques invendus qui avaient mobilisé la trésorerie et entraîné la chute. Nostalgique de cette folle aventure qui s'achevait, René Lacaille quitta l'île en 1979. Et si aujourd'hui Alain Peters connait, à titre posthume, un succès planétaire, l'enregistrement de son titre « La Rosée si feuilles songes » par le studio Royal (DR 77 0007 réédité sur CD Taka 0815) n'y est pas sans rapport.

Fanie Précourt