Musiques de Mayotte

Inventaire des répertoires

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Cécile Bruckert

04 octobre 2023

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Situation géographique

L’île de Mayotte, 101ème département français, fait partie de l’archipel volcanique des Comores situé dans le Canal du Mozambique, à mi-chemin entre l’île de Madagascar et la côte africaine. L’archipel, autrement appelé « des îles de la Lune », est composé d’Est en Ouest de quatre îles : Mayotte (Maore), Anjouan (Ndzuwani), Moheli (Mwali), et Grande Comore (Ngazidja), formant un croissant de lune. Le nom « Comores » viendrait de l'arabe signifiant « lune ». Mayotte est une île de 375 km2 entourée de nombreux îlots. Elle est surnommée île de la Mort, probablement en raison de sa barrière de corail formant l’un des plus grands lagons fermés du monde et causant de nombreux naufrages.

J. Moffat, Chart of south-eastern Africa Gravure aquarellée, XVIIIe. AD976 / 3Fi012.
J. Moffat, Chart of south-eastern Africa Gravure aquarellée, XVIIIe. AD976 / 3Fi012.

Bref historique du peuplement

Au dernier recensement publié en janvier 2022, Mayotte compte officiellement environ 300.000 habitants répartis majoritairement sur Grande-Terre (363km2) et sur Petite-Terre (12km2). On trouve des traces d’occupation de l’île datant d’avant le VIIIème siècle et qui montrent une population métissée due au grand trafic maritime que connurent le canal du Mozambique et l’océan Indien. Les recherches archéologiques montrent la présence à la fois d’une population asiatique, arabe et bantoue. L’islam est présent depuis cette période, comme l’attestent les fouilles, mais son développement est beaucoup plus tardif (XVIIIème siècle).

La culture musicale

Les chants sont toujours accompagnés de danses et joués avec différents instruments. La vie est rythmée par les deux grandes saisons : kashkazi, saison des pluies d’octobre à avril, qui s’étend de la période des plantations à celle des cueillettes, et kusi, saison sèche, période des festivités au village : circoncision, mariage…

L’organologie est riche et comprend 26 instruments répartis dans les quatre familles : cordophones, idiophones, membranophones et aérophones. Chaque instrument a une fonction spécifique selon les types de musiques. On peut classer à ce jour les musiques toujours actives dans trois grandes thématiques qui sont issues de traditions héritées des divers apports du peuplement historique de Mayotte. Cette description n’étant pas exhaustive, nous donnons ici quelques exemples emblématiques. La population française présente depuis 1841 n’est pas inclue dans ce premier inventaire qui traite essentiellement des traditions ancestrales.

 

I. Les répertoires profanes

Dangadzo est le terme que nous emploierons ici pour désigner les chants, danses et jeux profanes.

Les musiques festives

Généralement liées aux célébrations publiques du mariage, nous décrivons ici quelques dangadzo emblématiques :

Le shigoma

Dangadzo essentiellement interprété par des hommes, bien que les femmes soient de plus en plus présentes. Le groupe se déplace de façon circulaire, répondant en chœur au soliste. Les instruments utilisés sont : le msindrio, le dori, le fumba, le garando et le sifflet.

<i>Shigoma</i>, Petite-Terre, 2007, Fanie Précourt.
Shigoma, Petite-Terre, 2007, Fanie Précourt.

Le mbiwi

Dangadzo exclusivement féminin interprété avec les instruments portant le même nom. Le mbiwi d’aujourd’hui est accompagné de ngoma ou d’un orchestre lors des célébrations publiques et autres événements joyeux.

<i>Mbiwi</i>, Mamoudzou, 2007 Fanie Précourt.
Mbiwi, Mamoudzou, 2007 Fanie Précourt.

Le mshogoro

Dernier acte des festivités du mariage, procession qui accompagne le marié chez sa femme. Les hommes en tête du cortège chantent et dansent le mshogoro, à l’arrière les femmes accompagnent le marié et ses témoins au rythme du mbiwi. Les instruments utilisés sont les mbiwi pour les femmes, le msindrio, le dori, le fumba, le garando et le sifflet qui a remplacé le ndzumari pour les hommes. Le chœur répond au soliste dans chacun des groupes.

Les musiques récréatives

Dans ce registre, on retrouve les berceuses, essentiellement chantées par les femmes, les jeux d’enfants, certains rites de passage comme les premières menstrues ou le mariage, ou encore les chants de travail. Certains de ces moments récréatifs se vivaient le soir, surtout au clair de lune, dans les tobe situés dans la campagne malavuni durant kashkazi. Ceux que nous citons sont de plus en plus rares.

<i>Alé</i> <i>alé</i>,  conte chanté, Mamoudzou, 2007, Fanie Précourt.
Alé alé,  conte chanté, Mamoudzou, 2007, Fanie Précourt.
Les jeux et les sports d'adultes

- Le murenge

Activité exclusivement masculine, le murenge est une lutte codifiée mêlant danse, chants et coups de poing. Il s’agit d’une forme de maintien de l’équilibre social en régulant la violence tout en initiant les jeunes hommes à la bravoure. Les instruments utilisés sont le fumba, le dori, le garando qui a remplacé le tsakareteky.

- Le ngoma ya nyombe

Activité exclusivement masculine et dont la pratique a quasiment disparu, le ngoma ya nyombe est une danse et un combat entre l’animal et l’homme qui essaye de montrer son adresse face au danger, en l’occurrence face au zébu. Le ngoma ya nyombe se passe en deux phases : dans un premier temps, les hommes chantent et dansent face au zébu qui est attaché. L’objectif est de susciter son agressivité. Dans un second temps, on lâche le zébu et les hommes doivent s’illustrer dans leur aptitude à éviter la charge de l’animal.

Les chants de travail

- Le wadaha

Traditionnellement organisé à la fin de la récolte du riz, il fut un système mutualisé d’entraide pour permettre à chaque famille participante de pouvoir traiter une grande quantité de riz en un temps réduit. Le riz mele est mis dans le mortier shino pour extraire les grains avec trois pilons mutsi. La danse est féminine et circulaire autour du mortier.

 

II. Les musiques spirituelles

Dans la religion musulmane, il s’agit de la quête du divin en se détachant du matériel. L’introduction des confréries soufies a contribué à la généralisation de l’Islam à Mayotte. Il y a trois confréries majeures sur l’île : la confrérie shadhulya, qui pratique le daira, la confrérie khadriya qui pratique le mulid et la confrérie rifayiya qui pratique le dinahu. Les chants de ces trois rituels reposent sur le barzandji, texte hagiographique relatant l’œuvre et la vie du prophète Muhammad (sws) et des kaswida. Dans ce registre on retrouve aussi le debaa qui est pratiqué par les femmes contrairement au daira, au mulid et au dinahu, qui sont une affaire d’hommes, et le mawlida shenge interprété par les femmes et les hommes.

<i>Mawlida</i> <i>shenge</i> féminin, Petite Terre, 2007, Fanie Précourt.
Mawlida shenge féminin, Petite Terre, 2007, Fanie Précourt.
Les rituels animistes

Les rituels animistes pratiqués à Mayotte sont à l’image de son peuplement, issus des peuples africains et malgaches qui attribuent une force divine à la nature et aux ancêtres. Les rituels animistes d’origine malgache, trumba, ou africaines, patrosi, utilisent un registre de chants et rythmes connus par les initiés. Ceci est particulièrement vrai pour le patrosi. Cependant, d’autres chants du registre profane sont aussi utilisés lors de ces rituels.

 

III. Les musiques mahoraises modernes

Cette période qui démarre dans les années 1950 trouve un certain nombre d’influences régionales et du monde entier grâce probablement au développement de nouveaux moyens de transport.

Parmi une liste non exhaustive d’artistes ou groupes mahorais, on peut affirmer que toutes et tous intègrent un rythme, une mélodie, des paroles, des effets scéniques issus des traditions, qu’elles soient profanes ou spirituelles.

On citera dans cet article les deux grands précurseurs de cette modernisation de la musique mahoraise, sans conscientisation d’une quelconque revendication identitaire, que sont Langa et Papa Joe (ce dernier ayant successivement formé les groupes Globizine, Alpa Jo, Rapace, Scolopendre de Handrema).

Cécile Bruckert et Siti Yahaya

Photo 1Wadaha, danse du pilon, Petite-Terre, 2007, Fanie Précourt.