À l’image de son peuplement, la musique comorienne puise ses origines dans différentes sources, de l’Afrique en passant par l’Arabie et l’Inde ainsi que les pays swahilis voisins. Le tari, la wantruwashe, est une danse féminine qui n’échappe pas à ce métissage de rythmes africains et orientaux. À Anjouan, le tari, danse de célébration traditionnelle, est vecteur de transmission culturelle et de coexistence harmonieuse entre familles et communautés. Le tari est exécuté dans les occasions importantes de la vie comme la naissance, les initiations, les mariages, les commémorations, les inaugurations officielles ou encore les grandes rencontres sportives. Tari est un terme polysémique qui désigne autant le tambourin à une seule membrane, que la danse, le chant et le genre musical.
Musiques des Comores
Le tari anjouanais ou la célébration au quotidien
published by
Yakina Djelane
20 septembre 2023
Le déroulement du tari peut évoluer d’un espace à un autre, les chants et les chorégraphies se réinventent et évoluent mais il demeure des invariants notamment autour du contexte de production des chants qui touchent à l’ensemble de la vie collective et individuelle. En effet, le tari se déroule dans des contextes sociologiques bien précis, qui permettent souvent aux femmes impliquées d’affirmer ou de réaffirmer leurs statuts de mères, d’épouses, de sœurs au sein de la société. Le mariage, ou harusi, constitue l’une des principales occasions de danses du tari. On appelle tari la magnadza ou tari la hu lawa mwendze la présentation de la mariée à sa belle-famille et à toute la communauté. Dans une société matrilocale et uxorilocale, les alliances matrimoniales jouent un rôle primordial. Les paroles des chants énumèrent, selon les circonstances, les différents protagonistes du mariage. Les familles des mariés sont flattées et félicitées dans les chansons. Le passé des ancêtres des deux familles est glorifié.
Le tari s’organise souvent après la dernière prière de l’après-midi (Ansr). Les associations féminines sont nombreuses, chaque ville et village possède son shama. Certaines sont devenues célèbres par leur répertoire et leurs chanteuses vedettes, c’est le cas de Mahabouba El Watoine, Huzaenya et Fouraha Ndjema. Le tari est également célébré pour les différents rituels initiatiques marquant les âges de la vie : parturition, première coupe de cheveux, circoncision ou puberté pour la jeune fille.
À titre d’exemple, un tari que nous avons pu observer dans le quartier de Maluzini à Moroni. L’association traditionnelle (shama) sollicitée pour l’évènement est constituée principalement de femmes anjouanaises. Ici, une mère invite son association pour célébrer le passage de l’enfance à la puberté de sa fille. La cérémonie intitulée pondzo se rapporte au mélange subtilement préparé par les femmes les plus expérimentées du groupe. Les feuilles des plantes sont scrupuleusement choisies, la poudre obtenue (pondzo) sera mélangée avec du miel, des pièces de monnaie et autres objets de valeur. Ce mélange portera chance et bénédiction à l’enfant circoncis ou à la jeune fille qui fait son entrée dans la féminité à travers ses premières menstruations.
Les paroles des chants vont enjôler et souhaiter les faveurs et bienfaits imaginables à l’enfant. L’analyse des chants met en lumière les représentations sociales qui les sous-tendent. On retrouve un ton moralisateur sur les normes de bonne conduite et les qualités attendues chez une jeune fille : préserver sa virginité, honorer l’image de sa famille en évitant les mauvaises fréquentations, réussir sa scolarité et son éducation islamique, être respectueuse envers les aînés (adabu), etc. L’introduction commence par des louanges au prophète de l’islam. Le chant est mené par une soliste qui alterne les récitations pendant que les autres femmes répondent en chœur. Les textes du tari célèbrent les évènements heureux d’une famille, d’un village, du pays, ils marquent les différents âges de la vie de la femme et de l’homme. Les participantes sont vêtues de salouva et kishali identiques. La soliste est debout au milieu du cercle ou en avant lorsqu’il s’agit d’une ligne. C’est une danse au rythme lent accompagnée de légères oscillations du bassin et d’un battement de mains.
C’est un genre qui emprunte au religieux, en conservant des rythmes africains notamment à travers l’utilisation du ngoma, tambour à deux membranes fabriquées à partir d’une peau de cabri tendue grâce à des cordes tressées. Le dafu, tambour sur cadre à une seule membrane, est pourvu de cymbalettes jouant un rôle secondaire. Il accompagne le tari, instrument d’origine arabo-persan réalisé à partir d’une rondelle de bois et de peau de cabri.
Aux Comores, les femmes sont garantes de la stabilité de la cellule familiale et des valeurs fondatrices de la cité. Les associations féminines jouent un rôle important dans la transmission des chants et danses populaires. Il n’existe pas d’école de musique ou de structure officielle destinée à l’apprentissage des métiers liés au secteur musical. Les plus jeunes apprennent les danses et les chants en observant et imitant leurs aînés. Structurés et dynamiques, les shama transmettent les répertoires traditionnels. Sur des cahiers d’écoliers sont écrits les chants que les membres apprennent et maîtrisent par cœur. Les cahiers servent aussi de supports pour noter les participations financières des différents membres. L’échange d’argent sous forme de dons et contre-dons est une des caractéristiques des festivités comoriennes. Auparavant, les femmes s’échangeaient des objets de valeur et des objets utilitaires pour la maison, désormais la valeur monétaire et la collecte d’argent prédominent. Dans le cadre d’un mariage, la somme collectée augmentera l’honneur (shewo) et le prestige des mariés.
Les associations féminines traditionnelles consacrent une partie importante des fonds, provenant des prestations distribuées au cours des cérémonies coutumières, pour mettre en œuvre des programmes d'équipements destinés à satisfaire les besoins collectifs fondamentaux que l'administration publique ne fournît pas : construction d'écoles, de dispensaires, aménagement de rues, etc. Ces projets bien ciblés répondent à des besoins urgents pour les communautés et suscitent une volonté de maintenir et préserver les investissements réalisés.
Accompagnant les manifestations festives, rituelles, politiques, le tari est une danse de célébration et de félicitations. L’initiation et la transmission des chants et danses par le biais des associations féminines font du tari l’expression d’une vie communautaire participative.
Yakina Djelane
Photos : Mai 2023, Y. Djelane.
