Musiques de Zanzibar

Le kidumbak : Un divertissement typique des mariages zanzibarais

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Werner Graebner

09 août 2023

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Le kidumbak est un divertissement centré sur la danse, typique des mariages zanzibarais. Il est interprété par des petits groupes organisés de manière informelle, généralement constitués d’un violon comme seul instrument mélodique, de deux vidumbak (pluriel ; petits tambours en argile) qui sont les instruments à percussion majeurs et caractéristiques de ce style, d’un sanduku (« boîte » en swahili ; semblable à une contrebassine) et d’instruments à percussion de plus petite taille. Plusieurs membres du groupe se relaient en tant que chanteurs principaux, tandis que la famille et les invités au mariage se joignent à la musique en tant que chœurs et danseurs. Il est généralement joué dans des espaces ouverts situés à proximité de la maison de la mariée, et ce style a du succès en particulier dans les zones les plus populaires de la ville de Zanzibar et dans les régions rurales des îles.

Kidumbak est l’appellation des deux petits tambours en argile qui constituent le cœur de tout ensemble de kidumbak. Ki-dumbak signifie « petit dumbak », et ces tambours sont en fait des variantes peu coûteuses et faciles à fabriquer des instruments de plus grande taille utilisés dans les orchestres de taarab de Zanzibar. De plus, ils donnent leur nom au genre musical dans son ensemble et le caractérisent. Les deux kidumbak sont de taille identique, bien qu’ils soient accordés différemment. Celui qui est accordé légèrement plus bas est appelé ngoma ya kudunda (« le tambour qui résonne »). Le musicien le joue tout le long de la chanson pour marquer le tempo principal. Le joueur de ngoma ya kuchang’anya (« le tambour de combinaison, ou de mixage ») improvise sur le rythme de base imprimé par l’autre tambour.

Instruments de <i>kidumbak</i> [Photo : Werner Graebner, 1995]
Instruments de kidumbak [Photo : Werner Graebner, 1995]

  

D’autres instruments à percussion sont les cherewa, sortes de maracas faites de coquilles de noix de coco remplies de graines, et les vijiti, de courts bâtons de bois joués comme des claves. Dans la section la plus intense et rapide, le joueur de vijiti frappe sur la table placée au milieu des instrumentistes. Sur la table repose également un plateau en cuivre, dans lequel des pièces et des billets sont jetés en guise de tuzo (cadeau pour les musiciens).

L’ensemble de kidumbak est composé d’un seul instrument mélodique, traditionnellement un violon. Le violoniste introduit les nouvelles chansons et signale les changements et transitions d’une chanson à une autre. Toutefois, dans l’ensemble, la fonction du violon n’est pas tant de jouer une mélodie, il s’agit plutôt d’ajouter de la texture aux festivités et de les rendre plus vibrantes.

Le violoniste Juma Shadhili [Photo : Werner Graebner, 2003].
Le violoniste Juma Shadhili [Photo : Werner Graebner, 2003].

  

L’instrument le plus remarquable de l’ensemble est le sanduku, ou contrebassine artisanale. Elle revêt une importance particulière aux yeux des invitées présentes au mariage. Il est fréquent que des danseuses en solo s’approchent du joueur de sanduku, et le poussent presque à lui en faire lâcher son instrument en frottant leur postérieur contre son épaule pour l’inciter à jouer des variations rythmiques toujours plus inventives et excitantes. Le style de jeu du sanduku se rapproche davantage d’un tambour qui s’accorde à un registre grave qu’à un jeu de contre-chant, ce qui ajoute encore des accents rythmiques à l’ensemble de percussions.

Un concert de kidumbak commence généralement par quelques chansons plus lentes, souvent des reprises des dernières chansons de taarab à succès. Tandis que le tempo s’accélère et que l’intensité augmente, certains musiciens chantent à tour de rôle, enchaînant des extraits ou des formules tirés de chansons célèbres plus anciennes dans un medley en constante évolution, qui dure en général environ une heure. Quant aux danseurs invités au mariage, portés par l’intensité toujours plus grande de la musique, certains d’entre eux grimperont sur la table des musiciens, seuls ou par deux, afin d’être plus visibles pour l’assemblée tout entière, et exécuteront une danse extrêmement érotique composée de mouvements de bassin, ponctuée par les clameurs d’un public enthousiaste qui jette davantage d’argent dans le tuzo après des gestes particulièrement provocants.

Danse <i>kidumbak</i>  [Photo : Werner Graebner, 2003].
Danse kidumbak  [Photo : Werner Graebner, 2003].

  

Le kidumbak est parfois appelé ki-taarab, « une sous-catégorie de taarab », en raison non seulement de l’utilisation fréquente des dernières chansons de taarab à succès dans le kidumbak contemporain, mais aussi du fait que de nombreux jeunes musiciens se perfectionnent au sein de groupes de kidumbak avant d’être admis dans un club de musique taarab. Allant à l’encontre de cette vision figée du taarab comme d’une grande tradition, des artistes plus âgés tels que Makame Faki (à la tête durant des décennies du groupe de kidumbak le plus populaire de Zanzibar, Sina Chuki, et également un éminent compositeur et chanteur de taarab) soutient que les premiers ensembles de taarab swahilis, avant l’avènement du taarab orchestral de style firqah des années 1950 et 1960, n’étaient pas si différents du kidumbak moderne, se jouant uniquement avec deux petits tambours, un tambourin, un violon et un oud, et également à l’occasion de danses.

Selon la tradition orale, l’oud était le premier instrument mélodique utilisé dans le kidumbak. Bakari Abeid, qui est devenu le chanteur de taarab le plus reconnu des années 1960, a dirigé un ensemble de kidumbak dans les années 1950. C’est également un groupe de kidumbak du nom de Shime Kuokoana qui a été à l’origine de la création de l’orchestre taarab baptisé Culture Musical Club en 1958. Dans les années 1960, des groupes de kidumbak ont commencé à intégrer des rythmes et des éléments venant du muziki wa dansi, style provenant du Tanganyika continental, et ces origines sont encore visibles avec la citation de formules ou d’extraits de chansons des groupes Cuban Marimba et Morogoro Jazz (les plus populaires durant la fin des années 1950 et 1960) dans les sections les plus rapides des medleys de kidumbak. La terminologie musicale elle-même des joueurs de kidumbak plus âgés fait référence à la dance music ; ainsi, les sections rapides suivant la chanson principale sont appelées mapachanga ou machácha, d’après les phénomènes musicaux qu’ont été le pachanga ou le chachacha dans les années 1960. Les musiciens plus jeunes les désignent par le terme mgoma (c’est-à-dire la partie de batterie/partie dansante). Le sanduku est aussi une invention apparue dans les années 1960, peut-être également inspirée par le muziki wa dansi (équivalent acoustique de la contrebasse ou de la guitare basse).

Le chanteur Makame Faki  [Photo : Werner Graebner, 2003]
Le chanteur Makame Faki  [Photo : Werner Graebner, 2003]

  

Makame Faki et Sina Chuki Kidumbaki

Durant des décennies, le groupe Sina Chuki de Makame Faki était l’ensemble de kidumbak le plus populaire et le plus représentatif de ce style. Makame Faki s’était fait connaître en tant que chanteur dans des groupes locaux de samba et de kidumbak dans son village d’origine, situé dans le nord de l’île d’Unguja. Il a déménagé dans la ville de Zanzibar au début des années 1970 pour rejoindre l’orchestre taarab du Culture Musical Club en tant que chanteur, puis violoniste, joueur d’oud, violoncelliste et compositeur également. C’est également à cette époque qu’il crée Sina Chuki avec son collègue chanteur et joueur de kidumbak Khamis Nyange, le violoniste Dude Kitende et le spécialiste du sanduku Saleh Kiroboto. Il n’existe aucun enregistrement du groupe ou d’un autre ensemble de kidumbak datant de cette époque qui permettrait de documenter l’évolution de ce style. Des enregistrements audio et vidéo occasionnels effectués dans le cadre de cérémonies de mariage sont les seules sources susceptibles de remonter jusqu’aux années 1980. Quelques enregistrements de concerts datant de la fin des années 1990 et du début des années 2000 ont été rendus disponibles par des ateliers locaux de reproduction de cassette. Plus récemment, Makame Faki en a rendu certains disponibles en proposant à la vente des disques CD-R dans sa propre petite boutique à Ng’ambo. Au fil des ans, il a interprété du kidumbak sur des scènes internationales dans le cadre de tournées avec le Culture Musical Club et Kithara. La vidéo suivante montre une répétition de ce dernier groupe durant laquelle on peut voir feu Makame Faki (décédé en 2020) ainsi que les techniques de jeu de la basse sanduku et du vidumbaki

  

Vidéo

Makame Faki et Kithara, répétition de kidumbak dans la maison de Rajab Suleiman, Zanzibar [Vidéo : Werner Graebner, 2015]

  

Werner Graebner

Traduction réalisée par Catharine Cellier-Smart (Smart Translate).

Discographie

Kidumbak Kalcha. Ng’ambo: The Other Side of Zanzibar. Dizim Records 4501. 1997, Allemagne.

Zanzibar: Music of Celebration. Topic Records TSCD917. 2000, Royaume-Uni.

Zanzibar: Soul and Rhythm. De l’âme à la danse. Virgin Records 5957370. 2003, France.

Photo 1 : Concert de kidumbak dans une zone rurale de Zanzibar [Photo : Werner Graebner, 1995]

Audio : Concert de kidumbak [extrait, Zanzibar 1995]