Si aujourd'hui les bals revêtent un caractère désuet, n'oublions pas qu'ils étaient une véritable institution des siècles passés. Ces rituels sociaux, prenaient leurs sens en fonction des gestes, des contextes, des lieux et des milieux dans lesquels ils étaient réalisés. Aujourd'hui, ils sont autant de bons souvenirs pour les anciens qu'une curiosité pour les plus jeunes. De l'aristocratie à la société tout entière, des minorités ethniques à la population créole, des sphères privées aux festivités publiques… les bals furent à partir du XXème siècle un élément unificateur de la société créole des Mascareignes.
A la découverte des bals des Mascareignes #2
Le bal rãnn zariko de l’île Rodrigues
published by
Fanie Précourt, Marie-Monica Young Kan Seong
17 juin 2021
Un héritage romain

Bien qu'il ait existé à Maurice et à La Réunion, le bal rãnn zarico reste spécifique de l'île Rodrigues où il est durablement implanté. Datant de la fin du XIXème siècle, cette fête est également connue sous son diminutif bal zarico, et se nomme aussi communément bal le rwa ou rãnn le rwa. Ces appellations nous renvoient directement à l'étape primordiale des festivités, consistant à élire le roi de la soirée, en fonction d'un haricot trouvé dans un gâteau.
Ainsi, cette coutume qui caractérise fortement le bal semble hériter de la tradition européenne de l'Epiphanie, à laquelle est associée la galette des rois. Si la galette est attestée en Europe au XIVème siècle, le principe de sa fève dissimulée remonte au temps des Romains. Déposées pour les scrutins, les saturnales de Rome (célébration du solstice d'hivers) élisaient le roi du festin au moyen d'une fève. Nous comprenons aisément que cet usage ait pu traverser les océans pour s'implanter à Rodrigues, peuplé par des voyageurs anglais et français.
Pour les Rodriguais, la fève consiste généralement en un grain de haricot (rouge ou blanc) ou plus rarement de maïs ; deux semences cultivées par de nombreuses familles. La personne qui trouve cette fève sera chargée d'organiser chez lui la prochaine fête, de manière à rendre le haricot (rãnn zarico), et ainsi de suite.
Un lieu de partage régulièrement délocalisé
En plus du renouvellement de la localité, cela implique un principe de périodicité, établie au siècle dernier en fonction d'une fréquence moyenne de deux fois par mois. Les bals pouvaient cependant être espacés de plus de deux semaines, au regard de la distance à parcourir par les convives se rendant sur les lieux, ou des moyens dont dispose le prochain organisateur pour se mettre en œuvre.
Préparer un bal rãnn z'arico signifie de plus, que l'on sera par la suite convié par une personne que l'on invite. Le cercle d'habitués n'étant pas totalement fermé, les nouveaux invités concourent à diversifier la fréquentation du bal, tout en offrant aux convives des espaces d'amusement différents. Ce principe d'échange et de partage à tour de rôle a dû participer au maintien de la pratique du bal rãnn zarico jusqu'à nos jours, bien que sous une forme moins traditionnelle qu'au XXème siècle.

Une véritable organisation
Les réjouissances débutent le samedi soir, pour s'achever à l'aube ou au petit matin du dimanche. Pour l'occasion, l'organisateur fait appel à un musicien au minimum (en général accordéoniste, percussionniste et/ou siffleur), capable d'animer durant tout ce laps de temps. S'ils sont plusieurs à jouer, les musiciens pourront aussi bien se relayer que s'accompagner, en fonction du nombre d'instruments à disposition et du répertoire exécuté.
Le bal rãnn zarico a traditionnellement lieu à l'intérieur d'une case (souvent modestement construite en bois et en tôle ou sous une salle verte. Le nombre d'invités varie en fonction de l'espace déménagé pour la circonstance, afin d'accueillir un maximum de convives. De manière générale, les habitations étaient petites et ne pouvaient contenir qu'une dizaine de couples. De nos jours, il n'est pas rare d'assister à ce bal organisé en extérieur.
Un roi ou une reine fruit du hasard ?
La dégustation du gâteau, généralement préparé à base de poudre de maïs, se fait aux alentours de minuit. Le maître des lieux le découpe et prend à ce moment-là soin de bien dissimuler la fève dans l'une des parts. On demande aux musiciens d'exécuter une marche pour que les danseurs puissent évoluer en ronde et passer à tour de rôle, sans exception devant le gâteau pour se servir.
Deux cas de figure sont alors possibles : soit une personne quelconque se retrouve l'heureuse élue par le fruit du hasard, soit il s'agit de quelqu'un préalablement repéré par l'organisateur et/ou l'assemblée complice. Dans ce cas l'hôte s'arrange pour que la fève aille à la personne choisie d'avance, lorsqu'il propose les parts aux danseurs. Facilitant la tâche de sorte à garantir le résultat, il y a souvent des invités alliés. Ce désigné d'office peut être le prochain chez qui on aimerait aller danser, ou une personne qu'on souhaiterait rapprocher d'un partenaire (le/la gagnant(e) devant désigner sa reine ou son roi).
Lorsque l'élu se manifeste, il se voit nommé roi ou reine et décoré en fonction. Alors que les musiciens continuent d'interpréter des marches de circonstance, une couronne descend progressivement du plafond par un système de poulie géré par une personne attitrée. Préalablement faite de feuilles de fougères et suspendue à une corde, la couronne arrive logiquement autour du cou du vainqueur, tous les autres ayant dû l'éviter en dansant. Il faut maintenant que l'élu choisisse parmi l'assemblée qui l'encourage en frappant des mains celui ou celle qui incarnera son roi ou sa reine. Pour les couples déjà mariés, il n'y a pas de surprise mais pour un célibataire, le nom annoncé est attendu plus impatiemment. Ensemble, les deux partenaires organiseront le prochain bal, même s'il peut s'agir d'étrangers. Prioritairement ils se concerteront pour choisir le lieu le plus adéquat et la date avant de s'atteler aux préparatifs.
Bien souvent, une deuxième couronne est prévue pour la personne désignée. Les convives continuant à se mouvoir sur une marche, encerclent ensuite le couple qui reçoit alors leur parure sur la tête (et non plus autour du cou) en signe d'honneur et de décoration. De cette manière, le sacrement est réellement officialisé.
Entre chaque série de danses
S'il s'agit d'un bal animé par des instruments mélodiques, le répertoire musical est fait de séries de danses de salon créolisées. Entre chaque série de danses, et parfois même entre chaque danse (si elles ne s'enchaînent pas assez rapidement), les cavaliers sortent de la pièce, celle-ci étant toujours trop étroite pour agréablement accueillir tous ceux présents. Si la maison possède une chambre, c'est là que se situe le bar et le cambusié chargé de servir à boire aux hommes. Dans le cas contraire, les cavaliers prennent l'air à l'extérieur. Seules les dames restent à l'intérieur où quelques chaises, en fonction des moyens du propriétaire, leur sont réservées. Accolées aux cloisons, elles empiètent le moins possible sur la piste de danse centrale.
Et aujourd'hui ?
Malheureusement de nos jours, les Rodriguais ne pratiquent plus traditionnellement le ‘Bal rãnn zariko', bien que cette appellation soit régulièrement utilisée pour des rassemblements festifs publics. Quelles peuvent en être les causes ?
La modernité et l'influence de la musique européenne et surtout le fait qu'il n'y a pas eu de forte transmission entre les aînés et la jeune génération. L'influence musicale et les bals sont maintenant liés aux musiques dites ‘oldies' avec l'organisation de bals dans les discothèques les dimanches après-midi pour les personnes du troisième âge.
RÉFÉRENCES
1. A Rodigues, une série de danses se compose généralement d'une valse (laval), d'une scottish (kotis) d'une mazurka (mazok) d'un one step, d'une polka et d'un séga.
2. Nom en créole rodriguais pour désigner le serveur.