Bien que département français, l'île de Mayotte s'illustre aujourd'hui encore par une culture musicale ancestrale pluriethnique, intimement liée à celle des flux migratoire des îles de l'archipel des Comores dont elle fait partie. Au sein de cette zone géographique d'identité commune, située au nord du canal du Mozambique, entre Zanzibar et Madagascar, les pratiques musicales de Mayotte sont à la croisée d'héritages africains, malgaches, perses, yéménites, indiens et européens. Il existe sur l'île une réelle profusion de types d'instruments de musique, qui se traduit par des matériaux, des formes, des factures, des techniques de jeu et des sonorités. Fruits de l'ingéniosité des facteurs, ces instruments mahorais acquièrent des singularités que nous vous proposons de découvrir à travers quatre articles consacrés aux quatre familles organologiques: les membranophones, les idiophones, les cordophones et les aérophones.
Instruments de musique
Les cordophones de Mayotte
published by
Fanie Précourt
23 janvier 2023
Dans la famille des cordophones, qui regroupe les instruments dont le son est produit par la mise en vibration d'une ou plusieurs corde(s) pincée(s), grattée(s), frottée(s), frictionnée(s) et/soufflée(s), sont présents à Mayotte cinq instruments traditionnels. Parmi eux, le violon de facture industrielle est importé, à l'inverse des dzendze et du gabusi, qui sont issus de savoir-faire artisanaux, aujourd'hui importants à préserver et transmettre. Néanmoins, la difficultés d'approvisionnement en matières premières, le vieillissement des facteurs qui peinent à trouver une relève, tout comme la transformation des pratiques instrumentales, sont autant de raisons qui contribuent à la raréfaction de ces instruments. Malgré le fait de véhiculer d'importantes valeurs culturelles et identitaires, d'eux d'entre eux ont déjà disparu de la pratique musicale contemporaine.
Le dzendze
Originaire de Madagascar où il se nomme marouvany ou valiha vata, le dzendze est une cithare sur caisse rectangulaire dérivée de la cithare tubulaire valiha. Parsemée au sein de l'archipel, on la retrouve par exemple à Anjouan sous le nom de ndzedze. Ses huit cordes pincées sont réparties sur deux faces de la caisse de résonance en bois, constituée d'un cadre de sapin recouvert de planchettes de contreplaqué. Sur chacune des deux faces latérales de la caisse munies d'ouïes, huit clous font office de cordier et maintiennent la corde tendue (généralement faite d'un brun servant aux câbles téléphoniques ou aux freins de vélos) qui effectue plusieurs tours des clous. Des chevalets de bambou séché permettent l'accordage de l'instrument, posé sur les jambes de l'instrumentiste et qui exécute des pincements simultanés ou alternés des cordes, à travers lesquels il cherche à produire des accords et/ou à doubler la mélodie du chant.
Le dzendze est aujourd'hui en perte de popularité. Sa facture, bien que rudimentaire, demande de réelles compétences en accordage. Il se raréfie à l'image des musiciens qui le pratiquent.
Le dzendze lava
Le dzendze lava (littéralement "grand dzendze") fait partie des arcs musicaux, au même titre que le jejo lava de Madagascar, le bobre de La Réunion et le bonm des Seychelles. Cet instrument monocorde possède une calebasse servant à amplifier les notes produites par la corde frappée d'une baguette de bois. le musicien rapproche et écarte de son corps la calebasse en fonction des jeux d'intensité recherchés. Le dzendze lava semble avoir totalement disparu de Mayotte depuis les années 2000. Une action de reculturation pourrait être envisagée, sur la base des techniques de facture des arcs musicaux subsistants de la zone.
Le dzendze ya shitsuva, dzendze ya shituva (shimaoré), dzendze foiky (kibushi)
Cette cithare sur bâton se retrouve sous des formes similaires dans plusieurs régions de la zone de l'océan Indien, telle qu'à Madagascar (où il se nomme lokanga voatavo, tsitzé, jejy) à Maurice et aux Seychelles (zez), à Zanzibar (zez), sur la côte est africaine (enzeze). Le dzendze ya shitsuva de Mayotte est composé d'un manche rigide en bois léger (traditionnellement de badamier, aujourd'hui remplacé par du sapin), muni de trois frettes, sur lequel est fixé une calebasse en guise de résonateur, et trois cordes (en raphia ou fil de pêche en nylon). Deux d'entre elles sont nouées sur les parties latérales du manches, alors que la troisième repose sur les frettes. Un modèle de facture contemporaine peut comporter trois mécaniques de guitare insérées dans le manche de sorte à ne plus avoir de chevalets comme sur les instruments anciens, dont l'accord des cordes à vide est mi, sol # et fa#. L'extrémité avec les frettes de la cithare est jouée par la main gauche du musicien (pour un droitier), les cordes étant grattées par la main droite.
Le Dzendze ya shitsuva se joue en homophonie de la voix, mais est aujourd'hui en perte de représentativité. Il faut compter sur la récente production de modèles contemporains pour redynamiser cette pratique instrumentale.
Le gabusi (shimaoré) ou kabousa (shibushi)
Luth monoxyle d'origine yéménite (guanbus), le gabusi (quanbüs, gabbus, gabûs ou gmbusi) s'est répandu en Oman, Arabie saoudite et dans l'archipel des Comores, avant d'être influencé à Mayotte par le kabosa de Madagascar, de taille plus réduite. Il est ainsi sur l'île un luth court, fait d'un tronc évidé généralement de m'landrema (Broussonetia greveana), de jacquier (Artocarpus heterophyllus) ou de manguier (Mangifera indica), muni de trois à six cordes, d'un chevalet et d'une table d'harmonie en peau de chèvre. Il harmonise les musiques festives, telles les m'godro dans les mazaraka des mariages. On le retrouve également dans les musiques sacrées du culte des ancêtres nommé rumbo. Souvent associé au hochet mkayamba pour l'accompagnement des chants, il devient l'apanage d'une proportion croissante de musiciens confirmés et en devenir, formés dans les écoles de musique.
Le violon

Instrument à cordes frottées de type européen mondialement répandu, le violon a été détourné de la musique savante pour intégrer à Mayotte la sphère de la musique traditionnelle, imprégnées des traditions arabo-musulmanes (de par les répertoires) et d'influences malgaches ( traduites par la position de jeu). Il se joue en accompagnement (principalement en solo) de chants sacrés islamiques, caractérisés par un grand nombre d'ornementations, et se cale sur la partie gauche de la poitrine du musicien (pour un droitier), comme se tient la vièle lokanga malgache. Jadis présent sur l'ensemble des îles de l'archipel des Comores, il a disparu depuis les années 2000 de la pratique traditionnelle à Mayotte, mais est enseigné dans les écoles de musique à de nouvelles générations.
Fanie Précourt
