Instruments de musique

Les aérophones de Mayotte

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Fanie Précourt

14 février 2023

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Bien que département français, l'île de Mayotte s'illustre aujourd'hui encore par une culture musicale ancestrale pluriethnique, intimement liée à celle des flux migratoire des îles de l'archipel des Comores dont elle fait partie. Au sein de cette zone géographique d'identité commune, située au nord du canal du Mozambique, entre Zanzibar et Madagascar, les pratiques musicales de Mayotte sont à la croisée d'héritages africains, malgaches, perses, yéménites, indiens et européens. Il existe sur l'île une réelle profusion de types d'instruments de musique, qui se traduit par des matériaux, des formes, des factures, des techniques de jeu et des sonorités. Fruits de l'ingéniosité des facteurs, ces instruments mahorais acquièrent des singularités que nous vous proposons de découvrir à travers quatre articles consacrés aux quatre familles organologiques: les membranophones, les idiophones, les cordophones et les aérophones. 

La famille des aérophones se constitue des instruments de musique dont le son provient d’une insufflation d’air mis en vibration, en se brisant sur une arête, par l’action d’une anche, par la vibration des lèvres de l’instrumentiste, ou enfin par la rotation de l’instrument lui-même. À Mayotte, cinq instruments traditionnels sont des aérophones. Parmi eux, le sifflet et l’accordéon sont de production industrielle tandis que la flûte, le hautbois et la conque restent issus de traditions de factures locales, voire régionales, mais aujourd’hui mises à mal sur l’île. Le constat est effectivement alarmant, puisque ces trois instruments que sont le firimbi, le ndzumari et le baragum ne sont plus pratiqués. Il y a toutefois une lueur d’espoir pour la flûte firimbi et le hautbois ndzumari, au regard d’actions en faveur d’une reculturation actuellement en cours (fabrication de nouveaux instruments, formation de facteurs et de musiciens, médiation…).

Le baragum

<i>Baragum</i>, coll. Musique à Mayotte, Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt
Baragum, coll. Musique à Mayotte, Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt

  

Il s’agit d’un coquillage mondialement répandu (ex. : Tibet, Japon, Haïti, Inde, Sicile, Oman…), notamment en France (ancive) et sur les îles de l’océan Indien comme Madagascar (antsiva), La Réunion (lansiv), ou les îles Maurice et Rodrigues (lanbik). De la famille des conques marines ou des cors à air insufflé, le baragum de Mayotte (fait d’un Charonia tritonis communément appelé triton) est à embouchure terminale. Tout en soufflant, l’instrumentiste fait vibrer ses lèvres qui, plaquées contre l’embouchure, font office d’une anche. La hauteur des sons est modifiée par la main droite du musicien qui obstrue plus ou moins l’ouverture de la cavité de résonance. L’emploi de la conque marine apparaît lié, dans la zone de l’océan Indien, à des usages signalétiques et des rites sacrés. À Mayotte précisément, son utilisation première était dédiée au signalement des boutres. Par la suite, comme en Grande Comore, on l’utilisait dans le cadre des musiques de cérémonies d’enterrement, pour accompagner le départ des défunts vers l’au-delà. Il n’est aujourd’hui plus véritablement joué sur l'île, même si quelques spécimens restent trouvables.

Le firimbi

Ensemble de flûtes <i>firimbi</i> (<i>rast</i>, <i>doka</i>, <i>bousalek</i>), Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt
Ensemble de flûtes firimbi (rast, doka, bousalek), Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt

  

Également nommé fluti au sein de l’archipel des Comores, le firimbi est une flûte droite tubulaire comparable à la sodina de Madagascar. Elle est faite d’un tuyau sans encoche ni biseau, mais ayant un faible amincissement du bord supérieur. Traditionnellement en bambou ou faits d’une tige creuse de papayer (Carica papaya), les modèles tendent à se diversifier avec l’utilisation de tuyaux en PVC. La mise en vibration se fait par l’insufflation d’air se brisant sur l’arête. Hérité du monde arabe, le firimbi s’appelle neï en Tanzanie et à Zanzibar, où il intègre un ensemble de sept flûtes. Le nom de chacune d’elles dépend des gammes relatives à l’accordage : rast en do, doka en ré, bousalek en mi, gaharka en fa, nawa en sol, houssayni en la, mahour en si. La longueur et le diamètre du tuyau, tout comme l’espacement des sept trous, varient selon la tonalité. La facture reste cependant similaire d’un modèle à l’autre. Si depuis les années 2000 le firimbi est devenu un instrument extrêmement rare à Mayotte, il est aujourd’hui à nouveau fabriqué à petite échelle, à partir du savoir-faire tanzanien. Cette reculturation est encourageante et devrait permettre au firimbi de réintégrer l’effectif instrumental de cérémonies telles que celle du madjiliss, durant laquelle la flûte accompagne les kassuida (poèmes de louanges à Dieu). 

Le kordom

<i>Kordom</i> joué par le musicien et facteur d'instruments Colo Assani Ali, Chiconi, août 2022, Photo F. Précourt.
Kordom joué par le musicien et facteur d'instruments Colo Assani Ali, Chiconi, août 2022, Photo F. Précourt.

  

D’origine européenne et de facture industrielle, l’accordéon diatonique a été importé à la fin du XIXème siècle sur des îles de la zone de l’océan Indien comme Madagascar (gorodora, taralila), La Réunion (ralé-poussé, fouet fouet…) ou encore Rodrigues (kordéon).

Il s’agit d’un instrument à anche libre et clavier (boutons). Son adoption à Mayotte relève principalement de son utilisation dans les pratiques rituelles comme le rumbo, et pourrait s’expliquer par l’origine malgache de la majorité des accordéonistes de Mayotte. Instrument sacré du culte des ancêtres, il rend possible la communication entre le monde des vivants et celui des défunts, à travers des formules mélodico-rythmiques jouées à satiété, provoquant un état de transe. Depuis dix ans, le kordom semble avoir totalement disparu de la pratique populaire.  

Le sifflet

Bien que n’étant pas toujours considéré comme un instrument de musique en fonction des cultures et de ses utilisations, le sifflet à Mayotte fait bien partie de l’effectif instrumental contemporain, depuis les années 1980. Habituellement utilisé en guise de signal d’avertissement, il revêt une fonction musicale au sein de la majorité des festivités traditionnelles. Produisant une unique note par l’introduction d’air par biseau, il signale et ponctue chaque changement de répertoire et les mouvements chorégraphiques. Rattaché à la famille des flûtes globulaires, ce sifflet à bille très courant sur l’île est de facture industrielle. Parfois appelé ndzumari, il semble avoir progressivement pris la place de ce hautbois dans les madjiliss et shigoma. De même que pour le ndzumari, sa sonorité perçante lui permet d’être audible malgré un fort niveau sonore. 

Le ndzumari

<i>Ndzumari</i>, coll. Musique à Mayotte, Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt.
Ndzumari, coll. Musique à Mayotte, Mamoudzou, août 2022, Photo F. Précourt.

  

Le ndzumari est un hautbois, plus précisément un vent à anches battantes, appartenant aux bois. D’origine arabo-persane, on le retrouve notamment en Tanzanie (zumari), à Madagascar (kabiro) et sur les îles de l’archipel des Comores (ndzumari). Sa présence est attestée sur Lamu (île du Kenya, avec l’ethnie des Wagunya) et sur les trois îles de l’archipel de Zanzibar depuis le XIVème siècle. 

Le ndzumari de Mayotte se constitue de trois parties qui s’emboîtent : le bec (shaba en swahili), le corps (tandaa) et le pavillon (tako). Le bec est fait d’une anche double (kitete), d’un disque (une section de noix de coco poncée), d’un tube en cuivre en guise de bocal, d’un bouchon de liège et d’une ficelle pour la fixation des anches. Le corps percé de sept trous (six faciaux et un dorsal) et le pavillon sont taillés dans du bois léger comme le takamaka (Colophyllum inophyllum). Les anches sont découpées dans des feuilles de palmier satra (Hyphaene coriacea). Afin d’optimiser l’emboîtement des trois sections et d’obtenir des sonorités sans vibrations, une extrémité du tako et du tandaa est recouverte d’une bande de tissu. Aujourd’hui en voie de reculturation, le hautbois, qui a disparu des pratiques musicales traditionnelles depuis les années 1980 est, à partir d’un savoir-faire tanzanien, refabriqué et enseigné dans les écoles de musique à la nouvelle génération.

Fanie Précourt