Bien que département français, l'île de Mayotte s'illustre aujourd'hui encore par une culture musicale ancestrale pluriethnique, intimement liée à celle des flux migratoire des îles de l'archipel des Comores dont elle fait partie. Au sein de cette zone géographique d'identité commune, située au nord du canal du Mozambique, entre Zanzibar et Madagascar, les pratiques musicales de Mayotte sont à la croisée d'héritages africains, malgaches, perses, yéménites, indiens et européens. Il existe sur l'île une réelle profusion de types d'instruments de musique, qui se traduit par des matériaux, des formes, des factures, des techniques de jeu et des sonorités. Fruits de l'ingéniosité des facteurs, ces instruments mahorais acquièrent des singularités que nous vous proposons de découvrir à travers quatre articles consacrés aux quatre familles organologiques: les membranophones, les idiophones, les cordophones et les aérophones.
Instruments de musique
Les idiophones de Mayotte
publié par
Fanie Précourt
09 février 2023
Le daf
Le daf est un instrument de tradition persane mondialement répandu sous des appellations et morphologies variées, bien que d’origines communes : daf dans le monde arabe, en Iran, Arménie, Afghanistan, Inde, Sri Lanka ; daphi en Géorgie ; dap en Asie centrale, au Caucase ; daph au Tibet ; def en Turquie, Bosnie, Albanie, Monténégro ; défi en Grèce ; deff en Afrique du Nord, duff en Afrique de l’Est… Dans l’archipel des Comores, et plus particulièrement à Mayotte, ce tambourin d’origine arabe est un tambour sur cadre rond sans membrane et avec des cymbalettes (habituellement faites à partir des couvercles de boîtes de conserve découpés). Pour un modèle standard (de 30 cm de diamètre), dix-huit emplacements (découpes rectangulaires du cadre) permettent la fixation de trente-six cymbalettes réparties par paires. Le cadre, frappé à main nue par le musicien, est un tronçon de bois dur (bois noir : Albizia lebbeck, ou badamier : Terminalia cattapa), évidé et écorcé.
Lié au dogme soufi et au dhikr, le daf fait partie de l’effectif instrumental du madjiliss, du déba ou encore du tari. Contrairement aux daf de manufacture industrielle qui sont courants, les pièces artisanales se raréfient à Mayotte.
Les garandro
Le mot « garandro », qui signifie « métal » en shimaore et kibushi, désigne une famille d’idiophones, et, individuellement, les différents instruments qu’elle englobe, soit : un plateau de métal (patsu), une plaque de four, un tambour de machine à laver. Joués dans les shigoma, les patrosi, les mlelezi, ou encore mrenge, ce sont des objets métalliques et industriels qui, de par leurs sonorités intenses et aigües, ont été détournés de leur fonction première et de leur utilisation habituelle, pour devenir des instruments de musique très courants des pratiques festives traditionnelles depuis les années 2000. Ils sont couramment, à titre individuel, associés aux tambours de l’ensemble ngoma (dori, fumba, msindrio).
Le patsu

Le patsu est un plateau creux métallique de 36 cm de diamètre, frappé d’une baguette de bois (section de branche écorcée).
La plaque de four

La plaque de four est une plaque de cuisson rectangulaire standard de 56 x 49 cm. Elle est frappée de deux baguettes de bois.
Le tambour de machine à laver

Percuté par deux baguettes de bois, le tambour de machine à laver consiste en une caisse de résonance ronde et perforée, de 46 cm de diamètre.
Les masheve
Les masheve sont des sonnailles sous forme de bracelets attachés aux chevilles, que l’on retrouve dans la zone de l’océan Indien, au Mozambique (masseve ou chitchatchatcha), à Zanzibar (miseve) et sous des morphologies dérivées à Madagascar (maseva ou koritsakoritsa, portées aussi aux poignets), à La Réunion (kavir, kavia, kascavel) et à Rodrigues (katya-katya).
Faits de neuf à douze petits hochets en vannerie, traditionnellement reliés entre eux par un brin de raphia ou d’aloès (remplacés progressivement par un fil élastique, pour des raisons de solidité et de praticité), ils sont tressés en feuilles de palmier satra (Hyphaene coriacea). Une fois coupées, ces palmes doivent sécher deux heures au soleil pour conserver une souplesse nécessaire au tressage. À l’intérieur des hochets, une douzaine de « graines du diable » provenant de la liane Abrus precatorius (M’bilimbitsi ou Maso na ombygara), sonorisent les mouvements des danseurs/musiciens de shakasha, biyaya ou encore magandza.
Les mbiwi
De la famille des claves, les mbiwi sont des battants rudimentaires entrechoqués par paires, que l’on retrouve sur l’ensemble des îles des Comores et sur un principe similaire à Madagascar (ambio). Les mbiwi, qui étaient taillés rectangulairement dans des bois tropicaux durs, sont aujourd’hui faits de bambou (Bambusa vulgaris) pour des raisons de solidité, de sonorités et d’intensité. Ils se jouent traditionnellement et au minimum à trois, de sorte à créer une polyrythmie, faite de formules rythmiques superposées et en ostinato (frappes sur les temps forts, sur les contretemps et sur les triolets). Exclusivement pratiqué par les femmes, l’instrument a donné son nom à un répertoire dansé consistant en une succession de joutes, entre danseuses/musiciennes. Très populaire dans les manzaraka notamment, le mbiwi à Mayotte a dépassé son statut d’instrument de musique, pour devenir une parure féminine, voire un signe de distinction, grâce aux décorations peintes qui l’ornementent.
Les mkwasa
Comme les mbiwi, les mkwasa sont une clave, dont l’utilisation est cependant réservée aux hommes. De forme cylindrique, ces bâtons entrechoqués sont des sections écorcées de branches (d’une moyenne de 2 cm de diamètre et 20 cm de longueur) de bois de goyavier (Psidium guajava), parfois de palétuvier (Avicennia marina). Aujourd’hui rares, malgré leur fabrication simple, ces claves sont remplacées dans les répertoires traditionnels et populaires par des garandro ou des mbiwi, plus sonores.
Le mkayamba
Originaire d’Afrique où il se nomme chiquitsi ou kaembe dans les provinces du sud du Mozambique et kayamba au Kenya comme à Zanzibar, ce hochet en radeau est le raloba de Madagascar (le kahiemba malgache étant un autre idiophone, mais tubulaire), le maravanne de l’île Maurice, le mkayamba d’Anjouan et des autres îles des Comores, et le kayamb (anciennement caïembre) à La Réunion. À Mayotte, cette percussion est un réceptacle rectangulaire, dont le cadre en raphia mavanati femelle (Raphia farinifera) est recouvert de tiges de fleurs de citronnelle mâle (Cymbopogon citratus) nouées entre elles (traditionnellement par des brins de raphia ou de kitani (Furcraea foetida). Dans ce hochet, dont quatre extrémités du cadre dépassent (de la longueur) pour la tenue de l’instrument, sont enfermées en guise de grenailles des « graines du diable » (de la liane Abrus precatorius). Les deux traverses intérieures sont en bois de caféier (Psychotria calothyris). L’instrumentiste le secoue (verticalement et/ou horizontalement, voire obliquement) pour que s’entrechoquent les graines (percussion indirecte) de manière à rythmer les mgodro et autres musiques contemporaines, dont il participe au dynamisme. Selon les techniques de jeu, les pouces du musicien peuvent aussi percuter le cadre (percussion directe). Le mkayamba reste populaire à Mayotte, alors que paradoxalement ses facteurs sont peu nombreux.
Le mwitsi
Si à Mayotte le pilon est un ustensile utilisé pour écraser les denrées alimentaires, il est aussi un instrument de musique ancestral d’origine malayo-polynésienne.
Mwitsi (ou mutsi) en shimaoré, fandisa en kibushi, il incarne un bâton de rythme ou bâton pilonnant (d’une moyenne de 130 cm de longueur et 15 cm de circonférence) qui se frappe contre le sol ou résonne au contact du mortier (shino), ou d’autres surfaces dures. Il est habituellement confectionné dans du bois résistant de letchi (Litchi sinensis) ou de jacquier (Artocarpus heterophyllus). Il accompagne traditionnellement avec les shikele la danse du shitete. Projeté dans son mortier, il est aussi l’instrument qui rythme la danse wadaha. Son utilisation se raréfie, au même titre que les répertoires qu’il accompagne.
Les shikele
Se jouant par paire, les shikele sont des demi-noix de coco évidées, frappées au sol (cavité de résonance contre le sol) par alternance des mains. Bien que de fabrication rudimentaire, ils deviennent rares, tout comme la danse qu’ils accompagnent appelée shitete (danse féminine de fertilité donnée à une future mariée, exécutée au-dessus d’un mwitsi).
Le tsakareteky

De la famille des poutres percutées, le tsakareteky, se présente sous la forme d’une section de bambou (de deux nœuds, d’1 m de longueur et environ 10 cm) que l’on retrouve notamment à Madagascar (tsipertrika) et à La Réunion (piker). Percuté par deux baguettes de bois, il repose horizontalement sur un pied ou à même le sol. Face au garandro, il se raréfie à Mayotte.
Fanie Précourt
